« PRÊTS À AFFRONTER L'AVENIR GRÂCE À NOTRE SYSTÈME ÉCONOME »
NE VENDRE QUE 140 000 L/UTH N'INQUIÈTE PAS VRAIMENT ANTOINE ET XAVIER LAMARLE, QUI LES PRODUISENT AU MOINDRE COÛT AVEC UNE VALORISATION MAXIMALE DES FOURRAGES. CETTE LOGIQUE LES CONDUIT À SE CONVERTIR AU BIO.
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L'EXPLOITATION ET LA STRATÉGIE DE PRODUCTION d'Antoine et Xavier Lamarle tranchent dans le paysage laitier actuel. Ces deux frères, associés au sein du Gaec de la Thomelle, sont installés sur une structure plutôt modeste : 308 000 l de quota pour une surface de 139 ha de SAU. Et depuis quatorze ans, pas un hectare ou un kilo de quota en plus. Pendant toutes ces années, le Gaec a même systématiquement choisi de ne pas produire toute sa référence. Un paradoxe dans cette zone du nord-ouest de la Lorraine, où les exploitations en polyculture- élevage tentent de s'agrandir pour faire des économies d'échelle et réduire leurs coûts de production. Ces deux éleveurs ont mis en place une tout autre stratégie en bâtissant un système économe et autonome à base d'herbe. Plutôt que de privilégier les volumes pour dégager un bon revenu, ils ont tout misé sur la réduction des charges. Quitte à ne vendre, en moyenne, que 280 000 l de lait.
« Ce modèle est un héritage de nos parents, explique Antoine, l'aîné des frères. Notre père a connu le développement de l'agriculture intensive, productiviste. Mais il a toujours été très mesuré face à ce progrès. L'une des conditions à mon installation en Gaec avec mes parents, en 1986, était que je ne réalise pas de gros investissements. »
DE LA FÉVEROLE POUR ÊTRE AUTONOME EN PROTÉINE
À cette époque, l'exploitation s'étend sur 124 ha et dispose d'un droit à produire de 125 000 l de lait. Un atelier de boeufs complète la production. Trois ans plus tard, Xavier s'installe à son tour et succède à son père parti à la retraite, tandis que sa mère reste quelques années salariée.
En 1996, grâce à des rallonges de quota et l'acquisition de foncier, la référence monte à 300 000 l de lait et la surface atteint 139 ha. Pour faire face à cet accroissement de volume, un bâtiment occupé par les génisses est transformé en stabulation libre pour les laitières. Pour conserver un système économe basé sur l'herbe, les associés décident de limiter volontairement le nombre de places à quarante-deux. Cette taille correspond au nombre maximal de vaches qu'il est possible de nourrir exclusivement au pâturage durant le printemps et l'été sans maïs ensilage. La surface accessible est en effet limitée à 18,5 ha. De la mi-avril à la mi-août, Antoine et Xavier profitent donc de la pousse de l'herbe pour produire du lait au moindre coût. Surtout, durant cette période, ils ne distribuent aucun concentré. « À l'herbe, il faut accepter que les volumes de lait dans le tank varient beaucoup. » Les vaches tournent dans un premier temps sur quatre paddocks, un cinquième est fauché avant d'être réintégré pour le pâturage. « Elles restent une petite dizaine de jours sur une même parcelle. L'idéal serait de multiplier leur nombre pour réduire le temps de présence sur un paddock. Mais cette reconfiguration nécessiterait de créer des chemins d'accès trop coûteux. » Les deux éleveurs se sont fixés comme objectif de ne pas revenir sur une même parcelle avant cinq à six semaines. Ce délai évite les refus dans les zones où les animaux ont uriné ou bousé, permet de ne pas faucher systématiquement les refus après chaque pâturage, et de rompre le cycle parasitaire. Au final, la valorisation de l'herbe atteint 6 t de MS/ha. Un rendement tout à fait correct, d'autant plus que seulement 30 unités d'azote sont épandues à la sortie de l'hiver. La parcelle fauchée reçoit quant à elle 20 t de fumier par hectare tous les trois à quatre ans.
À partir de la mi-août, les vaches commencent à recevoir du maïs-ensilage. Durant l'hiver, ce fourrage est distribué à hauteur de 7 à 8 kg par vache et par jour. L'autre moitié de l'alimentation est composée de foin ou de regain. Pour être en partie autonome sur les protéines, de la féverole produite sur l'exploitation est consommée à raison de 1 kg par vache et par jour. Et pour équilibrer la ration, 2,5 kg de tourteau de colza sont ajoutés.
AUCUN CONCENTRÉ DE PRODUCTION EN HIVER
Antoine et Xavier tentent de valoriser au maximum les fourrages et ne distribuent aucun concentré de production durant cette période. « Les courbes de lactation sont plates en hiver, précise Antoine. La ration de base couvre 22 l de lait. Ce n'est qu'à la mise à l'herbe que les vaches expriment leur potentiel. » Cette stratégie les conduit à ne distribuer que 500 kg de concentrés/VL/an, alors que les élevages du groupe sont à 900 kg. La moyenne économique laitière s'élève à 6 500 l de lait/VL/an. Les cultures sont conduites avec le même souci de faire des économies sur tous les postes. Les associés jouent la complémentarité avec l'atelier laitier en valorisant le fumier. Quarante tonnes sont épandues sur les parcelles tous les trois ans. Durant cette période, les intrants sont limités au maximum avec l'apport de seulement 50 unités d'acide phosphorique et de potasse. « Un blé qui succède à un maïs reçoit seulement 130 unités d'azote. Cet apport est limité à 100 unités après une féverole. » L'emploi de fongicides est lui aussi restreint puisqu'un seul passage est réalisé. En revanche, aucun insecticide n'est utilisé. Aucun raccourcisseur non plus, sauf pour limiter la casse d'épis sur les orges d'hiver. Les charges opérationnelles sur les cultures de vente sont donc très bien maîtrisées. Elles se chiffrent à 259 €/ha en 2009 alors que l'objectif est d'être inférieur à 350 €/ha. Malgré le peu d'intrants, les rendements sont satisfaisants et atteignent 65 q en céréales. Côté équipement, là encore tous les investissements sont raisonnés. La stabulation ainsi que la salle de traite 1 x 8 postes en TPA datent de 1996. Des décrochages automatiques ont été rajoutés en 2002 pour améliorer les conditions de travail. Tous ces investissements sont aujourd'hui amortis. Le matériel pour les travaux des champs est en grande partie détenu en propriété. Chaque achat est réalisé au plus près des besoins. Et à l'image de la moissonneuse-batteuse qui a quarante ans, les deux éleveurs usent au maximum chaque équipement.
LES ASSOCIÉS RÉMUNÉRÉS 1 800 € PAR MOIS
Cette stratégie de mener tous les ateliers de manière économe n'a pas toujours été évidente. « Nous nous demandions si nous étions sur la bonne voie, souligne Antoine. Puis, en 1990, en rentrant dans le réseau d'élevage, nous avons remarqué que nous avions de bons résultats économiques comparés à d'autres systèmes. » Pour preuve, le coût de production calculé par l'Institut de l'élevage s'élève à 395 €/1 000 l en 2008 (dernier chiffre connu, qui intègre également une rémunération forfaitaire de la main-d'oeuvre à hauteur de 1,5 Smic). Il est inférieur à la référence, de 430 €/1 000 l. Il est surtout nettement en dessous du produit de l'atelier laitier (lait vendu, réformes aides) qui atteint 508 €/1 000 l. L'exploitation tire profit d'un très faible coût de concentré (25 €/1 000 l contre 59 € pour le groupe). Les charges opérationnelles de la SFP sont également très réduites : 23 € contre 29 €. En revanche, l'exploitation est pénalisée par sa faible productivité du travail. Avec seulement 140 000 l de lait vendu par UTH, la rémunération de la main-d'oeuvre exploitante est supérieure de 25 €/1 000 l comparé au groupe. Mais cette structure de taille modeste se révèle malgré tout très performante économiquement. Elle permet aux associés de conserver une certaine qualité de vie. « Une semaine sur deux, une seule personne assure la traite, ce qui permet à l'autre de faire des journées moins longues, explique Xavier. Nous ne travaillons pas non plus un week-end sur deux. Nos deux épouses travaillent à l'extérieur et nous prenons chacun dix jours de vacances par an. » Les deux frères tentent également de ne pas s'isoler sur leur ferme. Antoine est responsable départemental à la Confédération paysanne de la Meuse, tandis que Xavier occupe le poste d'adjoint au maire de la commune d'Inor. Bien sûr, le Gaec n'a pas échappé à la crise laitière. En 2009, l'EBE a été divisé par deux pour chuter à 45 000 €. Dans le passé, de 2005 à 2008, il oscillait entre 70 000 à 100 000 €. Un montant alors largement suffisant pour faire face aux prélèvements privés (les associés se rémunèrent 1 800 € par mois) et pour couvrir les annuités (10 000 à 15 000 €). L'année dernière, non seulement le prix du lait a dégringolé de 65 €/1 000 l pour s'établir, en moyenne, à 288 €, mais la sous-réalisation laitière s'est avérée plus importante que d'habitude. « Seulement 253 000 l de lait ont été vendus. Ceci est dû à un passage de BVD dans le troupeau qui a provoqué des avortements et des décalages de vêlage. Nous avons également participé à la grève du lait durant quinze jours en septembre et jeté 9 000 l de lait. » La chute de production est aussi due à l'arrêt du tourteau de colza à partir de l'automne 2009. Les deux éleveurs ont décidé de se convertir à l'agriculture biologique. Il ne s'agit pas d'un choix opportuniste pour toucher la plus-value au litre de lait. Les associés sont arrivés au bout de leur système économe et veulent aller plus loin en n'utilisant plus aucun désherbant. Ils souhaitent faire reconnaitre leur conduite à travers les produits qu'ils vendent. « Même en agriculture conventionnelle, ce système de production avec un faible quota par UTH reste rentable. Grâce à des coûts de production bien maîtrisés, il est à même d'affronter l'avenir et faire face aux fluctuations du prix du lait et aux hausses des intrants », analyse Dominique Caillaud, de l'Institut de l'élevage.
L'ASSOLEMENT FORTEMENT MODIFIÉ
Avec le passage à l'agriculture bio, Antoine et Xavier prévoient de produire encore moins de lait. Seulement 220 000 l seront vendus en moyenne chaque année. La production laitière devrait plafonner à 5 000 l/VL/an.
La culture du maïs va être stoppée et la pousse de l'herbe risque d'être moins importante car aucun azote minéral ne sera épandu. Les associés ne veulent pas non plus augmenter leur nombre de vaches pour continuer à les nourrir uniquement à l'herbe au printemps et en été. La baisse des litrages vendus sera compensée par la prime bio, qui varie actuellement de 80 à 100 €/1 000 l. L'assolement va subir un profond bouleversement. Les surfaces en blé et en orge vont diminuer de 20 ha. À leur place, un mélange de céréales, associé à un protéagineux, va être implanté. « Une dizaine d'hectares de prairies temporaires vont être semés et la surface en luzerne va progresser de 3 à 10 ha. Au final, nous risquons davantage de manquer d'énergie que d'azote pour nourrir les animaux », analyse Xavier. Les associés s'interrogent aussi sur l'intérêt de changer de race. À l'automne 2009, des génisses fraîches vêlées n'ont pas eu assez à manger à cause d'une mauvaise pousse de l'herbe. « Nous aurions dû les complémenter. Nous réfléchissons à réaliser quelques croisements avec les races simmental ou normande qui nécessitent moins de fourrage et de concentré pour garder de l'état, quitte à produire un peu moins de lait. Nous allons tout de même garder quelques holsteins pures. » En été 2011, le Gaec devrait terminer sa conversion à l'agriculture biologique. Ce choix devrait être payant puisque, selon une étude réalisée par la chambre d'agriculture, ce changement permettrait le maintien de l'EBE (voir simulation page 91).
NICOLAS LOUIS
Le corps de ferme est situé en contrebas du village d'Inor. L'exploitation comporte trois niveaux de qualité de terres : prairies inondables dans la vallée de la Meuse, terres argilo-calcaire et moyennement profondes (deux tiers des surfaces), et 10 ha environ en zone sableuse, caillouteuse.
L'été, les vaches ont toujours du foin à leur disposition. À cette période, la surface de pâturage atteint 45 ares/vache.
La salle de traite 1 x 8 postes en TPA date de 1996. Des décrochages automatiques ont été rajoutés en 2002 afin d'améliorer le confort de travail.
Le matériel de travaux des champs est en grande partie détenu en propriété, mais chaque achat est réalisé.
La nursery peut accueillir jusqu'à 25 veaux. Une fois sevrés, les animaux sont placés dans un autre hangar.
Avec la conversion à l'agriculture bio, les surfaces en blé et en orge vont diminuer de 20 ha au profit d'un mélange de céréales associé à un protéagineux.
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